Choix du critère de jugement

Incorporation de l’exposition dans le critère de jugement

À la troisième observation d’une même erreur méthodologique, dans mon expérience personnelle, je considère qu’un problème existe. Cela ne permet pas d’en évaluer la fréquence, mais cela veut dire qu’il vaut peut-être la peine de la mentionner.

Un critère de jugement principal ne doit pas être confondu avec l’exposition. Considérons une maladie évoluant sous forme de poussées plus ou moins récurrentes ou sous forme permanente pour laquelle on obtient assez souvent une réponse complète à moyen terme, avec disparition complète des symptômes, avec le traitement de référence. On compare dans un essai clinique randomisé en ouvert le traitement de référence A au traitement innovant B plus ou moins combiné au traitement A, selon le souhait du médecin. Considérons pour critère de jugement principal la « réponse complète off therapy » définie par l’absence de symptômes combinée à l’interruption totale du traitement de référence A. Le critère de jugement principal comprend, dans sa définition, l’exposition au traitement A ! On peut alors conclure que les sujets randomisés dans le groupe A vont prendre généralement le traitement A, alors que les sujets randomisés dans le groupe B±A vont le prendre moins souvent.

Afin de ne pas faire cette erreur, je vous conseille deux stratégies.

  1. D’abord, systématiquement vérifier que votre critère de jugement n’incorpore pas l’exposition
  2. Ensuite, considérer le scenario virtuel où on comparerait le traitement à lui même mais en version de couleur différente (comprimé rouge versus bleu, identique en principe actif), afin de vérifier que le traitement ne montrerait pas sa supériorité à lui-même

Critère de jugement différent selon le groupe

J’ai observé ce problème à la fois dans une étude non publiée et dans une étude publiée.

Étude publiée dans le JAMA

Pour commencer, Salminen et al, 2015 (https://dx.doi.org/10.1001/jama.2015.6154) présente un essai clinique randomisé comparant la chirurgie à l’antibiothérapie dans le traitement de l’appendicite aiguë non compliquée. Dans le groupe chirurgie, le succès (critère de jugement principal) est défini par le fait que le patient a été opéré (taux attendu de succès ~= 100%) alors que dans le groupe antibiotiques il est défini par le fait que le patient n’a pas été opéré ! La non-infériorité devait être démontrée avec une marge de -24% pour les antibiotiques vs chirurgie.

Le succès du groupe chirurgie est, par définition, un échec du groupe antibiotiques et vice versa ! Si on comparait la chirurgie à elle même, on arriverait aisément à la conclusion que la chirurgie est très largement inférieure à elle même (0% vs 100% de succès) tout en étant très largement supérieure à elle même (100% vs 0% de succès).

On peut d’ailleurs se demander comment on peut ne pas avoir 100% de succès de la chirurgie ! Outre les décès per-opératoires (très rares pour une appendicite aiguë non compliquée) il y a les annulations opératoires pour l’analyse en intention de traiter. Cela conduit à la mention « The patient randomized to appendectomy who did not have an operation had resolution of symptoms before the operation could be performed ». Peut-être était-ce juste un patient bien constipé pour lequel on a fait une erreur diagnostique ? Je ne suis pas sûr que le patient considère lui-même que c’est une évolution défavorable de sa maladie, par contre, c’est peut être une évolution défavorable des finances du chirurgien s’il travaille dans le secteur privé.

Étude non publiée

Plusieurs stratégies thérapeutiques étaient analysées, dans une optique de désescalade thérapeutique de la chimiothérapie anti-cancéreuse. Dans un sous-groupe bien spécifique les patients étaient randomisés en un groupe d’abstention thérapeutique alors que l’autre groupe bénéficiait d’une chimiothérapie. Le critère de jugement principal était la survie sans rechute dans le groupe avec chimiothérapie et de la survie sans re-progression après rechute dans le groupe d’abstention thérapeutique. C’est-à-dire que dans le groupe chimiothérapie, on mesure le délai avant une première rechute, alors que dans le groupe d’abstention thérapeutique on attend la première rechute avant de mesurer le délai entre la première et la seconde rechute.

Encore une fois, si on comparait la chimiothérapie à elle même, on trouverait une différence, parce qu’il n’y a pas de raison que le délai avant première rechute soit identique au délai entre première et seconde rechute.

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