Un petit billet sur le marché étonnant des calculatrices graphiques en 2021. Le marché orbite autour des épreuves et concours, tels que le baccalauréat en France. Les constructeurs adaptent leurs modèles au programme et aux réglementations, tels que l’obligation du mode examen (https://calculatrice-scientifique.eu/mode-examen-concours/) ou l’ajout du langage Python dans les derniers modèles. Le marché est très large, puisque rien qu’en France, environ 750 000 candidats passent le baccalauréat chaque année. Même s’il existe des spécificités nationales, les constructeurs utilisent les mêmes modèles partout dans le monde. Casio, Texas Instruments et Helwet Packard sont les principaux constructeurs.
Le prix de ce matériel, généralement compris entre 70 € pour l’entrée de gamme et 160 ou 170 € pour le haut de gamme, est-il justifié?
Pour ce faire, nous allons comparer les modèles les plus répandus sur le marché Français.
Description du matériel
Modèle | Prix (TTC) | Microprocesseur | DMIPS | FPU | RAM | Flash | Écran | Périphériques additionnels |
Raspberry pi zero | ~ 10 € | BCM2835 1 Ghz ARM11 32 bits | 1130 | Oui | 512 Mo LPDDR2 | microSD requis ~ 6-7€ pour 16 Go | None | microSD HDMI GPIO USB |
Wiko Y51 | 60 € | SC7731E 4 Cortex-A7 1.3 Ghz | 9880 (multi-core) | Oui | 1 Go | 8 Go | 960×480 | 2×5MP camera Wifi 802 b/g/n Bluetooth GSM 2G/3G+ accéléromètre capteur de lumière écran capacitif Carte son GPS USB microSD Radio FM |
TI 82 Advanced | ~ 70 € | Z80 15Mhz 8 bits | 0.61 | Non | 48 Ko SRAM | 1 Mo | 96×64 monochrome | Clavier USB |
Ti 83 premium CE | ~ 80 € | eZ80 48 Mhz 8 bits | 7.8 | Non | 256 Ko SRAM | 4 Mo | 320×240 | Clavier USB |
Ti Nspire CX II-T CAS | ~ 150€ | ARM926EJ-S 396 Mhz | 436 | Oui | 64 Mo | 100 Mo | 320×240 | Clavier USB |
Casio Graph 35+E II (fx-9860GIII) | ~ 90€ | SH7305 59 Mhz | 106.2 | Non | ?? Mo 61 Ko utilisateur | 8 Mo | 128×64 monochrome | Clavier USB |
Casio Graph 90+E (fx-CG 50) | ~ 90 € | SH-4A SH7305 117.96 Mhz | 212.3 | Non | 8 Mo 61 Ko utilisateur | 32 Mo | 396 × 224 | Clavier USB |
HP Prime G2 | ~165€ | Cortex A7 528 Mhz | 1003 | Oui | 256 Mo | 512 Mo | 320×240 | Clavier USB |
NumWorks | ~ 80 € | STM32F730V8T6 Cortex M7 216 Mhz | 462 | Oui | 256 Ko SRAM | 8 Mo | 320×240 | Clavier USB |
Le tableau ci-dessus décrit divers types de calculatrices ainsi que deux autres matériels: le Raspberry pi zero, un micro-ordinateur vendu sans périphérique (ni écran, ni clavier) et le Wiko Y51, un smartphone Android d’entrée de gamme. Les DMIPS représentent une estimation des performances au benchmark Dhrystone, reflétant les capacités de calcul du microprocesseur. Ces DMIPS ont été critiqués pour être des micro-benchmarks, basés sur une petite quantité de données et de code. Cela va tendre à sous-estimer l’écart entre les processeurs les plus puissant et les moins puissants. Ainsi, le processeur du Raspberry pi zero, avec 1130 DMIPS n’est pas 1130/7.8 = 145 fois plus rapide que la Ti 83 Premium CE. L’écart est certainement beaucoup plus important pour des programmes non triviaux. En réalité, la plupart des applications que l’on fera fonctioner sur un Raspberry pi zero ne pourraient jamais être exécutées sur une Ti 83 Premium CE car elles dépasseraient complètement les capacités mémoire maximales du microprocesseur. Il est aussi à noter que les DMIPS ne prennent pas en compte le calcul des nombres à virgule flottante qui sera extrêmement lent sur la Ti 83 Premium CE car entièrement émulé.
Les caractéristiques techniques du Wiko Y51 dépassent très largement tous les modèles de calculatrices les plus onéreux sur absolument tous les aspects techniques : puissance du microprocesseur, mémoire RAM, mémoire Flash, écran et connectivité. En comparaison à une Ti 82 Advanced, elle a 21845 fois plus de mémoire RAM, un écran qui comporte 75 fois plus de pixels, 8192 fois plus de Flash et un microprocesseur dont les performances sont incommensurables. Son prix est pourtant inférieur.
Du fait de l’absence d’unité de calcul à virgule flottante (FPU), la Ti 83 premium CE doit émuler les nombres à virgule avec les additions et soustractions 8 bits, et utilise une représentation numérique particulièrement peu précise, avec une mantisse de 22 bits, inférieure aux 24 bits d’un FP32 IEEE-754. En bref, cette calculatrice n’est même pas bonne à faire des calculs numériques.
Qu’est-ce qui pourrait justifier ce prix démesuré ?
On ne demande pas forcément d’une calculatrice d’égaler les performances d’un smartphone, mais pourquoi le prix n’est-il pas en rapport avec le matériel ?
Il ne s’agit pas du volume de ventes. Le marché des calculatrices graphiques est très grand, en raison de leur utilité aux examens et concours. C’est un marché international, avec un faible nombre de modèles, puisque Casio, Texas Instruments et Helwet Packard ne vendent chacun que quelques modèles différents. Helwet Packard ne vend plus qu’un seul modèle (HP Prime) alors que Casio vend presque le même matériel à différents prix afin de créer artificiellement une gamme. En comparaison, le Wiko Y51 doit tailler sa place dans un marché encore plus large mais très fragmenté, parmi des milliers de modèles Android différents.
Pourrait-il s’agir du coût du logiciel ? Cela est difficile à dire car les coûts de développement ne sont pas communiqués. Helwet Packard a probablement eu des frais minimes puisqu’il a repris du logiciel libre : FreeRTOS pour le système d’exploitation et GiCalc/Xcas pour le logiciel de calcul formel. Les quelques applications supplémentaires (Classeur, Statistiques) sont triviales à développer. Il est possible que le coût de développement de Texas Instruments soit bien plus élevé, car le microprocesseur Z80 est extrêmement ancien, sous-performant et oblige probablement les ingénieurs à programmer en assembleur en raison des limites de mémoire de la Ti 82 et la Ti 83. Étant donné que le processeur et le logiciel ont faiblement évolué depuis la Ti 81 commercialisée en 1990, il y a quand même trente ans d’amortissement. On remarquera que ce microprocesseur existe depuis 1976 et a représenté, avec le 6502, l’un des deux microprocesseurs 8 bits les plus vendus des années 1980. Le logiciel de Casio évolue aussi lentement, toujours basé sur le Casio Basic qui ne gère que 28 variables nommées de A à Z, plus rho et theta.
Le travail principal des constructeurs semble être la veille réglementaire et des programmes des examens de l’enseignement secondaire des différents pays. Il existe aussi un travail de démarchage auprès des enseignants, qui ont toujours le dernier modèle avant les autres.
Au total, il est probable que les marges bénéficiaires soient très importantes. Cela est d’autant plus problématique qu’il s’agit d’un marché forcé, avec des lycéens, ou plutôt leurs parents, de toute catégorie sociale devant acheter un instrument qui ne servira probablement plus une fois les examens passés.
On peut aussi craindre que cela amplifie les inégalités sociales, en raison d’une gamme de modèles, plus ou moins perfectionnés. Les plus riches pourraient acheter les modèles avec les fonctions les plus avancées, qui leur donnerait un avantage. Ce phénomène pourrait avoir été aggravé par le mode examen, supprimant les options de programmation permettant de débrider les modèles bas de gamme pour leur offrir des fonctionnalités équivalentes aux modèles haut de gamme.